J.-P. Bastian: Le couvent des tertiaires de saint François à Savigny

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Titel
Le couvent des tertiaires de saint François à Savigny.


Autor(en)
Bastian, Jean-Pierre
Erschienen
Bière 2020: Editions Cabédita
Anzahl Seiten
143 p.
von
Ian Novotny

Connu pour ses travaux sur la modernité religieuse et en particulier sur le protestantisme latino-américain aux époques moderne et contemporaine, Jean-Pierre Bastian, professeur émérite de sociologie des religions à l’Université de Strasbourg, revient dans son dernier ouvrage sur l’histoire d’une petite communauté religieuse vaudoise de la fin du Moyen Âge, installée à la périphérie de la grande paroisse de Lutry autour des ruines d’une chapelle consacrée à Marie-Madeleine 1.

Il s’agit du couvent des tertiaires de saint François fondé en 1491 à Savigny et auquel Ansgar Wildermann avait déjà consacré en 1995 un article dans le volume de la collection Helvetia Sacra dédié aux béguines et aux bégards de Suisse (v. 9,2, 1995, pp. 730-735). Reconnus par la papauté en 1447 et prônant un retour aux idéaux de vie qu’ils identifiaient à ceux du saint d’Assise – établissement dans le « désert », pauvreté individuelle et collective, vie de prédication et d’aumône –, les frères du tiers ordre franciscain appartenaient à la mouvance dite « observante » qui animait une partie des ordres religieux aux XVe et XVIe siècles.

Mais si le succès de l’observance fut tel que celle-ci parvint à imposer sa présence dans plusieurs régions d’Europe occidentale, la diffusion des tendances réformatrices au sein du diocèse de Lausanne dut se confronter à des obstacles considérables, comme l’illustre l’analyse du Registrum fratum domus Savigniaci daté de mars 1500, au centre de l’ouvrage. Ce registre, rédigé en latin et conservé aux Archives communales de Lutry, contient les procès-verbaux et les copies des pièces justificatives relatives au procès institué à Bâle en 1498 sous la volonté des tertiaires de Savigny et de leurs supérieurs contre l’évêque Aymon de Montfalcon pour défendre leur droit d’usage de la chapelle de Savigny, dont la donation avait été remise en question par le chapitre cathédral de Lausanne.

En insérant ce procès dans l’histoire du couvent et en se focalisant sur les raisons qui poussèrent les tertiaires (et leurs partisans) à défendre leur autonomie face aux institutions diocésaines, l’étude de Jean-Pierre Bastian se propose d’apporter un éclairage supplémentaire sur la diffusion des idées réformatrices dans le pays de Vaud à la veille de la Réforme.

Après un bref aperçu de la situation des ordres religieux dans le diocèse de Lausanne, l’auteur se concentre sur les origines du Tiers ordre régulier de saint François afin d’inscrire la fondation de la communauté de Savigny au sein de la querelle qui, dans la famille franciscaine, opposait les observants, animés par une volonté d’étendre l’esprit de réforme, et les « conventuels », partisans du statu quo et prédominants dans le contexte diocésain.

L’ouvrage poursuit avec une analyse du cadre territorial et démographique dans lequel vint s’insérer la fondation du couvent. Située sur les Monts de Lutry et de Villette, la chapelle de Savigny fut paroissiale au moins jusqu’au milieu du XIVe siècle. Vidée de ses habitants par le passage de la peste, la région fut repeuplée entre les années 1490 et 1520 par une vague migratoire en provenance du Haut-Giffre (Haute-Savoie), déjà étudiée par Bastian en 2012 dans son ouvrage Une immigration alpine à Lavaux aux XVe et XVIe siècles (Lausanne : Bibliothèque historique vaudoise, 2012). Localisée dans un « désert » idéal, la chapelle fut concédée en 1491 à Pierre de Roseto, prédicateur et vicaire provincial des tertiaires, par l’évêque Benoît de Montferrand, avec le soutien du curé commendataire de Lutry et des représentants de la ville de Lutry, officiellement pour la restauration du culte local de Marie-Madeleine. En réalité, comme l’évoque Jean-Pierre Bastian dans sa conclusion, la donation et le soutien reçu par la nouvelle fondation (composée de onze religieux jusqu’en 1498) résultaient de la convergence d’intérêts contradictoires : si les autorités de Lutry y virent l’occasion d’affermir leur emprise sur la paroisse dans une perspective d’autonomie face à l’évêque, ce dernier, comme l’a montré Stéphanie Vocanson-Manzi 2, donna son soutien à la nouvelle maison comme à d’autres communautés observantes afin de renforcer son pouvoir – en particulier face au chapitre cathédral de Lausanne.

L’opposition capitulaire à la cession de la chapelle se manifesta en 1496, mais ce n’est que deux ans plus tard que les tertiaires obtinrent du pape la mise en place, sous l’égide du juge et commissaire pontifical bâlois Bernhard Oiglin, d’un procès qui plaçait l’évêque de Lausanne comme principal accusé. À l’image des tensions qui animaient l’Église au tournant du XVIe siècle, le procès vit se confronter les représentants d’un clergé « conservateur » – incarné par le chapitre lausannois, qui défendait ses prérogatives dans l’administration des biens ecclésiastiques diocésains – et les tertiaires soutenus par des figures de l’humanisme réformateur bâlois.

Le procès semble être resté sans issue. Néanmoins le couvent de Savigny demeura en place jusqu’à sa sécularisation en 1531 et c’est à cette deuxième phase de son histoire qu’est dédiée la dernière partie de l’ouvrage de Jean-Pierre Bastian. L’auteur y présente une situation paradoxale : tandis que la disparition des figures fondatrices et l’hostilité des autorités diocésaines face à toute réforme accompagnèrent le déclin du couvent, l’encadrement pastoral de la population paysanne des Monts de Lutry de la part de la « deuxième génération de religieux » fut une réussite, mise en lumière aussi bien par la prise en charge des formes de dévotion locales que par l’origine rurale des trois derniers frères.

Parmi les différentes sources exploitées, outre l’emploi du Registrum contenant les traces écrites du procès bâlois et dont l’édition aurait sans doute permis de compléter cette publication, l’auteur a recouru aux quelques sources iconographiques (du sceau aux médaillons de la cloche du couvent, installée dans le temple de Lutry) et liturgiques (les fragments du psautier des tertiaires) parvenues jusqu’à nos jours. Leur analyse a permis, en particulier, de mettre en évidence les choix dévotionnels des frères et des populations qu’ils encadraient. L’étude de Jean-Pierre Bastian a ainsi le mérite d’éclairer un épisode peu fréquenté de l’histoire religieuse vaudoise, mais représentatif des tensions internes aux ordres religieux et, plus généralement, à l’Église latine à la fin de l’époque médiévale.

Notes:
1 Voir aussi Jean-Pierre Bastian, « Réforme observante et emprise territoriale : l’éphémère implantation du Tiers-Ordre régulier de Saint-François à Savigny, diocèse de Lausanne, 1491-1531 », in RHV, 125, 2017, pp. 201-236.
2 Stéphanie Vocanson-Manzi, « Aymon de Montfalcon et l’Observance : la fondation controversée des couvents de Savigny, de Sainte-Catherine du Jorat et de Morges », in Bernard Andenmatten et al., Aymon de Montfalcon. Mécène, prince et évêque de Lausanne (1443-1517), Lausanne : Études de Lettres, 2018 (Études de Lettres, 3-4), pp. 47-62.

Zitierweise:
Novotny, Ian: Rezension zu: Bastian, Jean-Pierre: Le couvent des tertiaires de saint François à Savigny, Bière : Cabédita, 2020,. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 189-190.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 189-190.

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